Des formations qui se ramassent à la pelle

Des formations qui se ramassent à la pelle

Au-delà du chiffre, c’est surtout le contenu du plan qui inquiète

La ministre de l’Emploi jure que le plan pour 500 000 chômeurs devrait atteindre son objectif fin 2016. Mais sur le terrain, on critique un dispositif lancé dans la précipitation et pas assez qualifiant.

«La rentrée 2016 est cruciale», prévenait Myriam El Khomri début septembre, lors d’une table ronde avec des stagiaires et des formateurs. A quelques mois de la présidentielle, la ministre du Travail sait qu’il faut, à tout prix, inverser la courbe du chômage que François Hollande a placé au cœur du quinquennat. Et ce alors qu’il continue de monter en flèche, avec plus 50 200 chômeurs en catégorie A au mois d’août, selon les derniers chiffres publiés lundi(lire ci-contre).

De quoi désarçonner la ministre qui, lors de cette rencontre, se voulait pourtant rassurante. «Nous sommes en bonne voie», assurait-elle, mettant en avant sa botte secrète : le plan «500 000 formations». Annoncé début janvier, ce dispositif vise à former 500 000 chômeurs supplémentaires d’ici à la fin de l’année, en ciblant notamment les «personnes en recherche d’emploi sans qualification ou de longue durée». L’an passé, 470 000 formations avaient été prescrites par Pôle Emploi. Cette année, l’exécutif ambitionne donc de doubler ce chiffre pour atteindre le million de chômeurs formés. Pour y parvenir, un milliard d’euros a été débloqué. Un budget complété par l’appui financier des régions. Le but : favoriser le «retour à l’emploi en cohérence avec les besoins des entreprises et des territoires». Et, selon certains détracteurs, réaliser, en parallèle, un toilettage des listes de Pôle Emploi – les demandeurs étant basculés, le temps de leur formation, dans une catégorie de chômeurs (la D) bien moins regardée, chaque mois, lors de la publication des chiffres du chômage. Catégorie qui est d’ailleurs en nette hausse depuis plusieurs mois (+ 5,3 % le mois dernier, + 10,5 % au cours des trois derniers mois), en partie sous l’effet du plan 500 000. Sans empêcher la hausse dans les trois autres catégories, A, B et C.

Urgence

Si les effets, à court terme, ne sont donc pas encore au rendez-vous, la ministre n’en démord pas : «Le plan 500 000 formations supplémentaires continue son déploiement afin de faciliter et d’accélérer le retour à l’emploi des demandeurs d’emploi.» En soi, l’idée d’un tel plan n’a rien de neuf : en 2013, un plan pour 30 000 demandeurs d’emploi supplémentaires avait déjà été lancé. Il avait été reconduit en 2014, et en 2015, pour 100 000 chômeurs. Mais cette fois, l’objectif est bien plus ambitieux. D’autant que le calendrier est serré. Du côté du cabinet de Clotilde Valter, secrétaire d’Etat à la Formation, on se veut malgré tout optimiste. Au cours du premier semestre, plus de 400 000 entrées en formation ont été enregistrées. Soit une augmentation de 70 % par rapport à la même période, l’an passé.Preuve que l’objectif chiffré devrait être réalisé sans trop de difficultés.

«La montée en charge est progressive. La cadence s’est accélérée en avril et nous attendons surtout un pic en septembre et octobre», explique Misoo Yoon, directrice générale adjointe de Pôle Emploi, convaincue, elle aussi, de la réussite du plan. Un enthousiasme que ne partagent pas toujours, sur le terrain, les conseillers et syndicalistes.«Le dispositif a été annoncé en janvier, mais sa mise en œuvre a été retardée, notamment par les discussions avec les régions. Si on atteint 300 000 de plus qu’aujourd’hui d’ici à fin décembre, ce sera déjà bien», souffle Jean-Charles Steyger, secrétaire général du syndicat SNU-Pôle Emploi. Mais au-delà du chiffre, c’est surtout le contenu du plan qui inquiète le syndicaliste.

Après plusieurs années de vaches maigres, ce dernier avait été plutôt bien accueilli, au départ, par les agents. «Entre janvier et juin, les conseillers se disaient “super, on va pouvoir financer les formations, on en avait marre de dire non”. Mais là, ils sont beaucoup moins emballés», poursuit Steyger. La faute à la «précipitation de la mise en œuvre et la logique du chiffre». Première étape à avoir souffert de cette course contre la montre, selon le responsable SNU : le diagnostic des métiers en tension, lancée début 2016. Pôle Emploi défend sa méthode qui a consisté à «cibler les secteurs qui recrutent pour acheter des formations pertinentes en fonction des besoins des territoires et étendre ainsi l’offre disponible». Mais, certains déplorent l’urgence dans laquelle cette étape a été conduite. «Dans mon agence, cela s’est fait en deux jours. On nous a demandé d’appeler les agences d’intérim locales pour connaître leurs besoins. On avait tellement perdu le lien avec les entreprises, cela aurait mérité plus de temps», note un conseiller. D’autant que pour Steyger, cette approche «restrictive et adéquationniste, basée sur les seuls besoins des entreprises» peut négliger les attentes des demandeurs d’emploi.

«Pôle Emploi a acheté des formations et maintenant il faut à tout prix les remplir. Mais pour certains métiers, ce n’est pas évident de faire adhérer les personnes», s’agace une conseillère, déléguée CGT. «Les demandeurs d’emploi sont volontaires, ils sont preneurs de formations, mais ils ne veulent pas faire de l’occupationnel ou perdre leur temps», abonde un autre agent qui fustige «une logique de placement qui ne prend pas assez en compte la volonté des individus et leurs capa cités». Si les chômeurs sont toujours plus nombreux, trouver des volontaires pour les formations proposées ne s’avère donc pas si évident. D’où la volonté de Pôle Emploi de mettre les bouchées doubles. Au risque de soumettre leurs agents à rude épreuve, en leur fixant des objectifs pas toujours tenables comme celui de faire entrer au minimum cinq personnes en formation par mois.

Disparate

Un forcing qui ne serait pas sans conséquence sur la qualité des formations. Avec, d’un côté, certains modules courts ou peu attractifs issus du catalogue de Pôle Emploi. Et, de l’autre, des projets de reconversion fragiles, proposés par les chômeurs eux-mêmes, dans le cadre de l’Aide individuelle à la formation (AIF), représentant, depuis le début de l’année, 46 % des formations financées par Pôle Emploi. Une aubaine pour les chômeurs ayant un projet défini, mais qui peut s’avérer bancal pour les personnes ayant besoin d’un accompagnement plus complet pour se réorienter. Et pour lesquels les agents peinent à dégager du temps. «Or, depuis quelques jours, les vannes sont ouvertes, on accepte toutes les demandes de formation», se désole un conseiller.

Résultat : dans les agences, on s’interroge de plus en plus sur l’efficacité du dispositif pour réduire le chômage de longue durée. «Le plan 500 000 a basculé dans de la simple redynamisation des demandeurs d’emploi», pointe l’un d’entre eux qui dénonce un manque de formations qualifiantes. D’autant que, s’inquiète Jean-Charles Steyger, elles seraient, en grande partie, de courte durée.«Cela tourne autour de deux mois», estime-t-il. «Difficile de faire une moyenne, tant les situations sont différentes», répond de son côté Pôle Emploi qui avance toutefois un chiffre proche de celui du syndicaliste : 370 heures en moyenne (10 semaines environ). Quant aux formations certifiantes, elles représenteraient, selon l’agence publique, 50 % de l’offre. Mais, avec, là aussi, des situations très disparates, certaines pouvant ne pas dépasser une journée. Un agent de Pôle Emploi résume l’état d’esprit général : «Ce plan, on aurait aimé qu’il soit lancé sans précipitation en milieu de quinquennat.»

Libération – Amandine Cailhol — 26 septembre 2016

 

Auteur: SNU

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