Appel de 70 organisations de la société civile pour les européennes
Les extrêmes droites, dont la progression se poursuit plus que jamais, exploitent les mécontentements, les ressentiments, les colères. Colères souvent légitimes face à la dégradation du tissu social, à l’arrogance de pouvoirs oligarchiques, et à tant de renoncements face aux injustices sociales et environnementales, au rythme et aux effets du changement climatique et à l’affaiblissement accéléré des services publics.
Mais les extrêmes droites entretiennent ce ressentiment en désignant des boucs émissaires. Car elles ont besoin que le malheur s’étende : elles en vivent, elles s’en nourrissent. Il leur faut toujours plus de divisions, de fragmentation de la société, de repli sur un passé largement mythifié et une identité nationale fantasmée, d’enfermement dans les murs et les centres de rétention, de frontières barbelées, de rejet de l’autre.
Or, plus on divise, plus on affaiblit. Plus on dresse les travailleurs contre les chômeurs vilipendés comme «assistés», les agriculteurs contre les défenseurs du climat, les Français contre les étrangers, les centres-villes contre les banlieues, les «Parisiens» contre «la terre qui ne ment pas», les «vieux» contre les «jeunes», et plus on aggrave injustices, inégalités, préjugés et discriminations. Et au bout du compte tous et toutes y perdent… sauf les nostalgiques d’un pouvoir autoritaire derrière qui toute la société marcherait au pas.
Il est grand temps d’ouvrir les yeux
La propagande de l’extrême droite et de celles et ceux qui courent après elle, masque le monde réel. Depuis des décennies, ce qui menace la démocratie et le vivre-ensemble, dans notre pays comme dans beaucoup d’autres, c’est le recul massif de l’égalité, des solidarités, de l’accès aux droits et de la protection des plus fragiles. C’est le culte du tout marchand, du tout privé, du tout payant, avec toujours plus de personnes, de groupes sociaux et de territoires précarisés, abandonnés, voire méprisés.
Ce ne sont pas les personnes étrangères qui ont fait exploser inégalités et discriminations. Ce ne sont pas les écologistes qui ont ruiné tant de paysans endettés et pressurés par les industries agro-alimentaires. Ce ne sont pas les «jeunes des quartiers» qui ont construit, abandonné, puis laissé se dégrader les quartiers populaires où se concentrent depuis si longtemps misère, chômage et précarité. Ce ne sont pas les militants syndicaux qui ont fermé les usines ou dégradé les services publics.
De tout cela bien sûr, l’extrême droite ne dit rien. Mais nous – associations, syndicats, acteurs et actrices de la solidarité, citoyennes et citoyens engagés dans la société civile –, nous disons aujourd’hui qu’il est grand temps d’ouvrir les yeux. Car le danger grandit, aux portes d’un avenir proche : le danger que triomphent la haine de l’Autre, le repli identitaire, le racisme, l’affrontement de tous contre tous. Que deviendrait alors la démocratie même ?
Le sentiment d’une vie toujours plus difficile et précaire
Oui, il est grand temps de réagir. Nous n’acceptons pas que se poursuivent le saccage de la santé publique – entre «déserts médicaux» et détresse hospitalière –, le séparatisme scolaire des riches et les études de plus en plus chères, les logements de moins en moins abordables pour le plus grand nombre, les services publics qui reculent, les territoires qui vivent la déprise, et leurs habitantes et habitants abandonnés au «chacun pour soi», à la précarité et à l’insécurité sociale.
Croit-on que les explosions de colère qui se succèdent sans cesse – «gilets jaunes», révoltes dans les quartiers populaires, colères des agriculteurs – arrivent par hasard ? Les mauvais coups portés aux retraites, au logement social, à l’agriculture paysanne et maintenant aux allocations chômage profitent aux semeurs de haine, aux entrepreneurs de ressentiment identitaire. Le terreau sur lequel poussent les démagogues de l’extrême droite, c’est l’amertume que provoquent toutes ces régressions malgré des mobilisations souvent très importantes, c’est le sentiment d’une vie toujours plus difficile et précaire.
Peut-on continuer longtemps à perdre nos libertés, nos droits, notre espoir d’un avenir meilleur ? Nous savons bien que non. Nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui font vivre et qui inventent aussi, sur le terrain et dans les partages du quotidien, les solidarités, les coopérations et les mises en commun porteuses de cet avenir meilleur. Ce qui manque pour que toutes ces énergies et ces engagements brisent le cercle vicieux de l’extrême droitisation, c’est une mise en commun visible qui respecte leur diversité tout en conjuguant leurs forces.
Il faut s’engager d’urgence dans la lutte contre les inégalités, la crise climatique
C’est pourquoi, nous, 70 organisations au cœur de la société civile, avons décidé de proposer aujourd’hui, face à l’extrême droite et aux porteurs de haines, d’injustices et de discriminations, une mobilisation forte et durable contre les inégalités sociales et territoriales. Parce que là sont les vrais enjeux. Parce que là se joue, à court comme à long termes, l’avenir de nos sociétés et de la démocratie.
Et surtout parce que nous portons dans nos engagements, dans nos actions quotidiennes, la conviction que c’est le rassemblement de tous ceux et celles qui veulent plus d’égalité, de solidarité, de justice sociale et fiscale et de respect de toutes et tous qui peut faire reculer le risque du pire et nous redonner espoir dans l’avenir. C’est urgent, c’est nécessaire et c’est possible.
Nous appelons dès aujourd’hui les organisations et les citoyen·ne·s qui partagent nos préoccupations et nos valeurs à nous rejoindre. Nous appelons les femmes et les hommes politiques qui se considèrent réellement comme démocrates, républicains et humanistes – quelle que soit leur couleur politique – à ne jamais céder aux idées mortifères de l’extrême droite et à s’engager d’urgence et sincèrement dans la lutte contre les inégalités, la crise climatique et pour la reconstitution de notre tissu social. Nous appelons les citoyennes et citoyens à ne pas se résigner : ne pas choisir l’extrême droite pour exprimer sa colère, ne pas renoncer à voter pour désigner des responsables qui seront enfin à la hauteur des défis de notre temps, que ce soit aux niveaux local, national, ou dès le 9 juin au niveau européen.
Premiers signataires
Patrick Baudouin, président de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT (Confédération générale du travail) ; Lucie Bozonnet, secrétaire générale du MRJC (Mouvement rural de jeunesse chrétienne) ; Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France ; Hania Hamidi, secrétaire générale de l’Unef ; Benoît Hamon, directeur général de Singa ; Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France ; Mohamed Mechmache, président de la coordination Pas sans Nous ; Laure Niclot, présidente des Jeunes Européens – France ; Benoît Teste, secrétaire général de la FSU (Fédération syndicale unitaire) ; Arnaud Tiercelin, co-président du Cnajep (Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d’éducation populaire) ; Youlie Yamamoto, porte-parole d’Attac France
A retrouver ainsi que la liste des signataires sur Libération