Droits rechargeables : quels regards portent les syndicats de Pôle emploi sur les scénarios envisagés ?

Droits rechargeables : quels regards portent les syndicats de Pôle emploi sur les scénarios envisagés ?

Moins de six mois après leur entrée en vigueur, les droits rechargeables doivent être ajustés pour prendre en compte les multiples cas dans lesquels la reprise automatique de droits met en difficulté les demandeurs d’emploi.

Mercredi 25 mars 2015, les partenaires sociaux interprofessionnels doivent se retrouver pour négocier un avenant à la convention de 2014, destiné à gommer ces effets non souhaités. De leur côté, les organisations syndicales de Pôle emploi insistent tout particulièrement sur la nécessité d’aboutir à un système simple, opérationnel et juste pour les demandeurs d’emploi.

Qu’ils soient ou non affiliés à une organisation signataire de la convention d’assurance chômage de mai 2014 (1), les syndicats des agents de Pôle emploi sont au moins consensuels sur un point : tels qu’imaginés l’an dernier, les droits rechargeables posent problème pour un certain nombre d’allocataires et il est nécessaire de revenir dessus pour régler des situations qualifiées d’ “injustes” ou d’ “intenables”. “La convention de 2014 n’est pas à remettre en cause mais devant les difficultés relevées, une renégociation sur les droits rechargeables est aujourd’hui utile”, considère aujourd’hui Christian Fallet de la CFDT.

“PAS UN RAZ-DE-MARÉE” MAIS DES DIFFICULTÉS

“La reprise systématique de droits pose aujourd’hui un problème. Ce n’est pas un raz-de-marée, mais il y a indéniablement des difficultés”, avance pour sa part Fabien Milon de FO. Et de prendre l’exemple d’une femme qui après avoir travaillé longtemps à temps partiel, a dû, à la suite d’une séparation, rechercher un temps plein pour augmenter son pouvoir d’achat. À la fin d’un CDD à temps plein, les droits rechargeables actuels font en sorte que sa première phase d’indemnisation est liée à son temps partiel précédent, la mettant potentiellement plus ou moins longuement en difficulté. “Ce type de situation est loin d’être extrêmement rare”, commente le représentant Force ouvrière qui se félicite “de la prise de conscience des confédérations sur le sujet”.

Pointant “le paradoxe” d’un système qui n’incite pas à la reprise d’emploi, voire qui “incite au travail au black”, Stéphane Guillou de la CGT dénonce “une navigation à courte vue”, ajoutant que la délégation confédérale – dont il fait partie – a, lors de la négociation début 2014, “prévenu techniquement” qu’un phénomène de “recalculés” (2) était probable avec les droits rechargeables tels qu’imaginés à l’époque. De fait, plusieurs partenaires sociaux, y compris des futures signataires de l’ANI, avaient mis en garde contre l’émergence d’un tel phénomène.

QUELLES CONDITIONS POUR BÉNÉFICIER DES AJUSTEMENTS ?

En mai 2014, dans son dossier d’impact de la nouvelle convention, l’Unédic estimait à 500 000 allocataires – près de la moitié de ceux concernés par les droits rechargeables -, le nombre de personnes qui se verraient verser dans un premier temps, une indemnisation moins élevée qu’avec l’ancienne convention ; des chiffrages plus récents font état d’un peu plus que 380 000 allocataires concernés. Reste à déterminer parmi cette “masse”, les allocataires qui bénéficieront des ajustements. Les négociateurs confédéraux doivent dans un premier temps définir les conditions à remplir pour ne plus se voir appliquer la reprise systématique de droits et ainsi entrer dans un système dérogatoire. Trois critères sont ainsi envisagés : le différentiel entre l’allocation journalière du reliquat et celle du nouveau droit, la durée minimale du reliquat et la durée minimale de la reprise d’activité.

“L’établissement de ces critères est extrêmement important”, explique Emmanuel M’Hedhbi du SNU Pôle emploi. “Est-ce que, par exemple, une durée minimale de reprise d’activité de 12 mois est représentative du marché de l’emploi ? Non et par la définition de ces critères, on risque d’écarter de nombreuses personnes du dispositif”, ajoute le syndicaliste qui craint une “logique gestionnaire” des négociateurs confédéraux pouvant les amener à sous-dimensionner les ajustements pour faire en sorte que cela ne coûte pas trop au régime d’assurance chômage. De même, son homologue de la CGT, Stéphane Guillou assure que “plus on mettra de critères, plus on exclura de personnes”, avec au final, “une proportion de bénéficiaires [couverts par les ajustements] relativement modeste par rapport au total des perdants” des droits rechargeables. Au-delà des niveaux choisis, les modalités de prise en compte de ces critères seront à définir. “S’il est décidé d’une durée minimale de reprise d’emploi d’un an, est-ce un an en continu ou en discontinu”, illustre, par exemple, le représentant de la CGT.

TROIS SCÉNARIOS ET UN PRIVILÉGIÉ

Trois scénarios sont envisagés pour ajuster ces droits rechargeables : un calcul automatique d’un nouveau droit correspondant à une moyenne d’allocation et deux droits d’option entre d’une part, le reliquat et, d’autre part, un nouveau droit issu d’une reprise d’activité ou une réadmission comme elle existait dans la précédente convention. La première piste du calcul automatique “aurait l’avantage d’être mécanique”, réagit Emmanuel M’Hedhbi du SNU. “Cette option pourrait être défendue par la direction générale de Pôle emploi, car elle irait dans le sens d’une mécanisation des procédures”, ajoute-t-il. De fait, ce dispositif a très peu de chance d’être retenu par les négociateurs confédéraux.

De même, un droit d’option entre le reliquat et une réadmission est on ne peut plus improbable, les partenaires sociaux pouvant avoir du mal à réintégrer un système auquel ils ont mis fin durant la négociation de début 2014. Le plus probable donc est la mise en place d’un droit d’option entre le reliquat non épuisé et un nouveau droit issu d’une reprise d’emploi, comme cela a été prévu pour les anciens alternants dans l’annexe XI de la convention. “Nous n’avons pas encore beaucoup de recul, le dispositif étant encore très récent, rapporte Fabien Milon de Force ouvrière. Mais l’immense majorité des personnes concernées prend l’option, l’allocation de la reprise d’activité étant nettement plus intéressante que celle issue des périodes d’apprentissage.” De son côté, travaillant “dans le service traitant des interrogations des agents”, Stéphane Guillou de la CGT indique avoir désormais “des remontées tous les jours” sur le sujet.

Pour ce qui est de la mise en œuvre d’un tel droit d’option, les uns et les autres ne se montrent guère inquiets. “Les agents ont de l’expérience et ce ne serait pas la première fois qu’un dispositif évolue”, revient Christian Fallet de la CFDT, ne doutant pas que la direction générale de Pôle emploi assurera l’information et la formation des agents. De même, son homologue de FO, Fabien Milon envisage “une mise à jour des logiciels” de gestion des dossiers des demandeurs d’emploi.

QUELLE PLACE POUR LE CONSEIL AUX DEMANDEURS D’EMPLOI ?

Reste la difficulté potentielle pour l’agent à bien conseiller le demandeur d’emploi, entre l’application classique des droits rechargeables et le choix de nouveaux droits issus d’une reprise d’activité qui implique l’abandon du reliquat. “Donner le choix n’est pas évident, explique Fabien Milon de Force ouvrière. La majorité des demandeurs d’emploi n’ont aucune idée de leur propre distance à l’emploi.” De fait, en faisant jouer le droit d’option, les demandeurs d’emploi bénéficieraient d’une meilleure allocation, mais avec l’abandon du reliquat, d’une allocation moins longue, l’allocataire pouvant plus rapidement se retrouver en fin de droits s’il ne retrouve pas d’emploi, d’où l’importance de l’action des conseillers de Pôle emploi.

La question de l’indemnisation est traitée au tout début du parcours des demandeurs d’emploi. “À ce stade du parcours, nous n’avons pas fait le travail de diagnostic. Nous ne connaissons pas leur situation et nous serons amenés à les conseiller pour qu’ils se positionnent” vis-à-vis du droit d’option, regrette Emmanuel M’Hedhbi du SNU. Stéphane Guillou (CGT) va plus loin, expliquant qu’en pratique, compte tenu de la complexité des dossiers d’indemnisation, il est probable qu’ils soient “gérés en back-office” et que le demandeur d’emploi “découvre uniquement par courrier la situation”. En pratique, “la plupart des chômeurs n’ont aucune idée de leur propre distance à l’emploi”, analyse Fabien Milon (FO). La capacité des demandeurs d’emploi à se déterminer face au droit d’option en toute connaissance de cause peut ainsi être difficile, d’autant plus si les agents de Pôle emploi ne sont pas à même de les conseiller avec précision.

Au-delà de l’émergence d’un système dérogatoire aux règles générales qui pourrait concerner, alternants compris, près de 100 000 personnes par an, Dominique Nugues de l’Unsa espère que le choix que feront les négociateurs nationaux, restera simple. “Il est de plus en plus compliqué de mettre en œuvre les droits des demandeurs d’emploi, affirme-t-il. On parle partout de simplification et généralement, on complexifie les choses. Pour ne pas pénaliser les demandeurs d’emploi, on imagine des dispositions sur-mesure, sans pour autant prendre en compte la faisabilité effective sur le terrain.”

Un dispositif simple, opérationnel et suffisamment large pour couvrir les besoins, sans l’être trop pour éviter que le dérogatoire ne devienne la norme : telles sont en substance, les demandes des syndicats de Pôle emploi. Reste à savoir si les partenaires sociaux nationaux et interprofessionnels sauront y répondre, le 25 mars, lors de la négociation de l’avenant à la convention d’assurance chômage.

Par Jérôme Lepeytre  AEF

(1) L’ANI du 22 mars et la convention du 14 mai 2014 ont été signés par la CFDT, la CFTC et FO côté syndical et par la CGPME, le Medef et l’UPA, côté patronal.

(2) À la suite de la convention Unédic de décembre 2002, un certain nombre de demandeurs d’emploi avaient vu leur durée d’indemnisation recalculée, ce qui avait engendré à l’époque de nombreuses actions en justice de la part de chômeurs s’estimant lésés par un système rétroactif.

 

Auteur: SNU

Partager cet article :