Il faut sauver le soldat CHSCT

Il faut sauver le soldat CHSCT

Le climat d’unité nationale aura-t-il raison des CHSCT ? Même si au petit matin du 17 janvier, les partenaires sociaux se sont quittés sans signer d’accord sur la modernisation du dialogue social, ils étaient très près d’aboutir et d’entériner la fusion de toutes les instances représentatives du personnel (IRP) en une seule : le conseil d’entreprise. Ce dernier reprendrait les prérogatives du comité d’entreprise, des délégués du personnel et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). La future instance unique serait instaurée dès onze salariés, mais sans personnalité juridique et en ne reprenant principalement que les fonctions des délégués du personnel en dessous de 50 salariés.

Ainsi, ce qui semblait totalement impossible il y a quelques mois pourrait bien finalement voir le jour, jeudi, lors d’une prochaine et ultime séance de négociation.

Un véritable contre-pouvoir

Alors que ce chantier est inscrit à l’agenda social depuis 2009, il n’a véritablement débuté que cinq ans plus tard, en octobre 2014, sous la pression de l’exécutif, qui en avait fait l’un des thèmes de la dernière conférence sociale, en juillet dernier, et avait prévenu qu’un projet de loi serait déposé en cas d’échec des négociations. A en croire certains observateurs, le climat tendu entre les partenaires sociaux, qui a prévalu lors des premières séances de négociation au dernier trimestre 2014, aurait radicalement changé depuis la semaine d’attentats qui a endeuillé la France. L’élan national du dimanche 11 janvier aurait transcendé les négociateurs des deux camps. On ne pourrait que s’en réjouir si le sort des CHSCT n’était pas en jeu.

Une véritable dynamique s’est créée autour des CHSCT

Nous n’aurions sans doute pas écrit ce qui suit il y a une dizaine d’années, le CHSCT étant alors probablement l’IRP qui fonctionnait le plus mal. Mais aujourd’hui, tous les observateurs conviennent qu’une véritable dynamique sociale s’est créée autour des CHSCT, sans doute sous l’influence de la dégradation des conditions de travail, de l’intensification, de la montée des risques psychosociaux et de l’affirmation de l’obligation de sécurité de résultat pesant sur l’employeur.

Le CHSCT est devenu un véritable contre-pouvoir dans l’entreprise avec lequel les employeurs doivent composer. Assistés par des cabinets d’experts agréés auxquels ils ont recours de plus en plus souvent, les CHSCT les plus offensifs disposent d’un pouvoir d’opposition qui oblige les directions à revoir leur copie pour intégrer les observations des représentants du personnel, si leurs projets mettent en cause la santé et la sécurité des salariés.

Dégâts collatéraux en nombre de poste

Enfin, le CHSCT bénéficie d’un formidable dynamisme militant. C’est devenu une voie d’intégration pour de nouveaux syndicalistes, qui recherchent dans cette instance la défense d’une cause noble a priori dépourvue de clivages partisans. Bref, c’est pour de bonnes raisons que le CHSCT est considéré comme « la bête noire » d’un certain patronat, et c’est bien pour cela que les jusqu’au-boutistes entendent le « neutraliser ».

Le CHSCT est considéré comme « la bête noire » d’un certain patronat

Evidemment, les négociateurs syndicaux savent tout cela. La fin des CHSCT constitue probablement le point d’achoppement qui fera hésiter et trembler les futurs signataires de ce texte, tant elle risque de mal passer à l’intérieur des organisations syndicales et auprès des militants de terrain, dans les entreprises. Certes, ils chercheront à se rassurer en considérant qu’après tout, le futur conseil d’entreprise reprendra toutes les missions et les responsabilités du CHSCT. Ce faisant, ils risquent de commettre une double erreur d’appréciation.

Tout d’abord, en l’état actuel du texte, le regroupement des IRP se fait à l’image des fusions d’entreprises, c’est-à-dire pas du tout à effectifs constants ! On décompte de nombreux dégâts collatéraux, en nombre de postes d’élus et d’heures de délégation. Pour les entreprises de 50 à 1000 salariés, la perte est spectaculaire. Le même raisonnement prévaut s’agissant des moyens. La formation de tous les futurs élus sur la santé au travail, ainsi que les frais de fonctionnement du CHSCT, jusque-là pris en charge par l’employeur, seraient désormais à la charge du budget de fonctionnement du futur conseil d’entreprise, sans augmentation de celui-ci.

Il faudrait être bien naïf pour considérer que ces changements majeurs n’auront pas d’incidence sur l’efficacité de cette nouvelle instance. Avec moins d’élus, moins d’heures de délégations et moins de moyens, il risque d’être très compliqué pour les représentants du personnel de mener des missions aussi diverses que le contrôle des choix économiques et stratégiques de l’entreprise et de leurs incidences éventuelles sur l’emploi, la gestion des colonies de vacances des enfants ou des prestations culturelles et la préservation de la santé et des conditions de travail des salariés. Surtout au vu de la complexité de cette dernière mission.

Fusion des délégués du personnel et du CHSCT

Ensuite, les rapports les plus sérieux qui se sont penchés sur le CHSCT ces dernières années, celui de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), ou celui du professeur de droit Pierre-Yves Verkindt, avaient conclu qu’il était important de conserver un lieu de débat unique et exclusif sur la santé et les conditions de travail, avec le maintien d’élus spécialisés sur cette thématique. Et que si fusion il devait y avoir, c’était plutôt entre les délégués du personnel et le CHSCT qu’elle pouvait être envisagée, ces deux instances traitent du travail réel alors que le CE est davantage centré sur des questions surplombant le travail et les conditions dans lesquelles il s’effectue.

Le débat sur le travail risque de faire les frais de cette fusion de toutes les instances, dans des conditions de réduction de moyens et de compétences, alors que, précisément, l’accord national interprofessionnel sur la qualité de vie au travail prévoyait de le renforcer.

Enfin, cerise sur le gâteau, on retiendra que c’est au moment où se mettent en place les CHSCT dans la fonction publique, en raison justement de l’efficacité démontrée de cette instance représentative du personnel pour débattre du travail, que l’on se prépare à la supprimer dans le secteur privé. Etonnant, non ?

 

21/01/2015 François Desriaux Rédacteur en chef de Santé & Travail

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Auteur: SNU

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